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n°95

Médias & Migrations : déchiffrage d’un rapport complexe

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Afflux, crise, invasion, vague… Les termes adoptés par la presse pour aborder la migration sont alarmants. Mais reflètent-ils la réalité ? N’induisent-ils pas une représentation biaisée risquant d’inspirer la peur, le rejet, le racisme ? Le CRIPEL [1] a tenu à organiser le colloque Médias & Migration : Représentation, stigmatisation, criminalisation [2] en mars dernier pour déconstruire les stéréotypes et mettre en lumière l’influence des médias sur la compréhension du phénomène migratoire.

Invasion de migrants : exemple de titre choc de Sud Presse
Invasion de migrants : exemple de titre choc de Sud Presse

Médias, vecteurs de stéréotypes

Au cœur de la presse, nombreuses sont les références au flux et à l’afflux des migrants. En répétant en boucle qu’ils se dirigent vers chez nous, en employant des mots inquiétants et en diffusant des images de groupes, les médias engendrent un effet loupe, dramatisant les phénomènes migratoires. Ils donnent l’impression d’une progression massive et intensive, comme si plusieurs milliers de personnes allaient nous envahir. 

Les déclarations alarmistes font également légion et participent à cette construction. Deux semaines après le colloque, Médecins du Monde expliquait notamment que le procureur de Flandre Occidentale avait commis une erreur en annonçant l’arrestation de 800 migrants en un mois dans sa province, alors qu’en réalité « les mêmes 30 à 60 personnes sont arrêtées encore et encore ». Une telle déclaration provoque forcément un sentiment d’insécurité, sentiment qui serait moindre si la réalité n’était pas grossie de la sorte.

Par ailleurs, il n’est pratiquement jamais fait de distinction au sein de la presse, entre migrants, immigrés, sans-papiers, réfugiés ou demandeurs d’asile. Ces réalités sont pourtant inégales. Beaucoup pensent aussi que la majorité des migrants sont des hommes. « C’est un discours que l’on retrouve régulièrement dans la presse traditionnelle. On représente essentiellement les migrants comme une communauté d’hommes, sauf quand il faut en avoir pitié, alors là ce sont des images de femmes et d’enfants que l’on montre. En réalité la répartition est plutôt de l’ordre du 50-50. », explique Jérémy Hamers (chercheur et professeur d’éducation aux médias et l’analyse critique des discours d’actualité à l’ULiège), un des intervenants du colloque. 

Privilégiant les faits divers, certains médias s’attardent sur des infractions et agressions commises par des supposés migrants. Ce traitement de l’information peut également avoir des conséquences désastreuses comme de favoriser le rejet de toute forme de population étrangère de la part des citoyens. Même s’ils n’ont jamais mis les pieds sur les terres de leurs ancêtres, tous les étrangers sont ainsi assimilés à des migrants dangereux, profiteurs de la sécurité sociale, ou voleurs d’emplois. 

Le choix des mots, des images, de quelle information traiter et comment la traiter, peut indéniablement participer aux confusions et constructions erronées que se font les citoyens à propos du phénomène migratoire. Or, si au départ les personnes qui s’opposent à la venue des migrants ne sont pas nécessairement xénophobes, ces pressions médiatiques peuvent engendrer de la peur et du racisme. 

Un esprit critique à conserver 

Le traitement de la migration opéré par les médias déteint-il réellement sur l’opinion publique ? Examinons de plus près la question au regard de ce qui a été développé lors de ce colloque.

Pour Martine Vandemeulebroucke (journaliste indépendante), les médias n’ont pas la capacité de modifier la compréhension du monde des citoyens. Elle considère, par exemple, que nous sommes tous en mesure de concevoir notre perception des phénomènes migratoires et que c’est notre propre vécu qui induit notre façonnement du monde. En d’autres mots, chacun reçoit l’information comme il a envie de l’entendre. Une personne raciste aura constamment la possibilité de trouver des preuves pour conforter son point de vue. Elle sélectionnera n’importe quelle information pour le confirmer. 

Si cette hypothèse est recevable, peut-on toutefois admettre que la presse n’a aucune influence ? Après tout, comme le dit un autre intervenant, Philippe Hambye (professeur de linguistique française à l’UCL), « personne ne nait avec des stéréotypes ». Il n’est donc pas envisageable de nier la figure d’autorité accordée aux médias. Leur impact sur la représentation de la migration, même minime, est inévitable. Si les médias ne sont pas toujours initiateurs de ces préjugés, la manière dont ils les traitent peut jouer un rôle de miroir grossissant et déformant.

De plus, la presse est en souffrance économique et, même si la plupart des journalistes réalisent un travail consciencieux, certains, contraints d’écrire vite pour gagner leur vie, véhiculent des erreurs car ils n’ont plus le temps de se spécialiser, ce qui accentue le nombre de clichés véhiculés à l’égard des migrants. On constate, d’autre part, que les articles attirant le plus de lecteurs sont souvent porteurs de titres racoleurs, et non les mieux argumentés. Le titre Invasion de migrants : la Côte belge menacée !, lu sur la couverture d’un journal de Sud Presse, en est un bel exemple.

"Les médias sont aux stéréotypes ce que l’argent est au bonheur : ils ne les créent pas, mais ils y contribuent"

Régis Simon (Directeur général du Cripel)

Ainsi, si les médias doivent faire des efforts de crédibilité, les lecteurs ne sont pas en reste. En surfant sur internet, un citoyen peut passer en un clic d’articles écrits par des journalistes professionnels, à des fake-news créées par des particuliers. Celles-ci, caractérisées par un traitement simpliste d’un fait non fondé, peuvent être porteuses de messages xénophobes alimentant les discours haineux sur les réseaux sociaux. Le lecteur doit donc se montrer critique face au flux d’informations généré sur le net et conscient de ses choix de lecture.

Médias, vecteurs de solidarité

Heureusement, la presse continue aussi à jouer son rôle et éveiller les consciences en montrant une autre facette de la migration. En présentant les migrants comme des victimes, elle permet à la crainte de céder le pas à l’empathie et la compassion. Mais là encore, le choix des mots et des images pose question. 

Ainsi, il y a un an, les médias diffusaient la photo du corps sans vie du petit Aylan, allongé sur une plage de Turquie. Cet enfant de trois ans était mort noyé en tentant de quitter avec ses parents la guerre syrienne. Ce type de cliché a-t-il sa place dans les journaux ? Certains considèrent que non, reprochant à la presse de jouer sur l’émotionnel. Cependant, cette photo est bien réelle et participe à la compréhension de l’horreur vécue par les migrants. Si elle engendre la compassion des citoyens, elle leur permet également de se rendre compte que ces personnes sont avant tout des victimes et de prendre parfois des initiatives. C’est en découvrant cette réalité à travers la presse, en voyant des images de villes détruites et les tragédies que les migrants encourent tant durant leur parcours d’exil que dans leur pays d’origine, que des citoyens ont mis en œuvre des mouvements de sympathie comme au parc Maximilien. 

Quentin Noirfalisse (Médor), journaliste de presse alternative, explique pour sa part que c’est en allant sur le terrain, en partant à la rencontre des personnes, en passant du temps avec elles que l’on peut le plus se rapprocher de la vérité. Les interviews et reportages réalisés par Médor au parc Maximilien montrent que chaque histoire est différente et que, par exemple, les migrants ne sont pas, contrairement à ce que l’opinion croit souvent, des personnes incultes venues pour mendier. En effet, de nombreux migrants sont diplômés et issus de la classe moyenne. 

"Passer du temps au contact des migrants permet de prendre conscience que la réalité des vécus est extrêmement diverse."

Quentin Noirfalise (Journaliste pour Médor)

La presse tente d’ailleurs de combattre le cliché du migrant sans ressources, venu profiter du système. C’est pourquoi elle évoque régulièrement l’apport financier engendré par l’accueil des migrants. En 2015, nous pouvions, par exemple, entendre l’économiste Bruno Wattenbergh déclarer sur Bel RTL Eco : « Les études scientifiques sur le sujet indiquent que le bilan économique de l’immigration est globalement positif, ce qui veut dire que nous tirons parti de l’immigration. Mieux les migrants s’insèreront sur le marché du travail, plus ils généreront de recettes fiscales et d’activités économiques. » Des chercheurs de l’UCL estiment, quant à eux, que l’influence de l’immigration sur les finances publiques correspondrait à 0,5 % du PIB, soit environ 2 milliards d’euros [3].

Un enseignement à tirer

Concluons en citant Régis Simon (directeur général du CRIPEL) : « Les médias sont aux stéréotypes ce que l’argent est au bonheur : ils ne les créent pas, mais ils y contribuent ». En effet, la presse conforte les préjugés, sans pour autant bouleverser radicalement les opinions des citoyens. Si les stigmates n’ont pas besoin d’elle pour exister, il serait erroné de considérer qu’elle n’en est pas un vecteur : elle joue un rôle important dans leur transmission, voire dans leur construction.

Un média ne peut toutefois pas changer radicalement la manière de penser d’une personne qui est déjà bien ancrée dans ses stéréotypes. Il ne faut pas surévaluer le pouvoir des journalistes. 

De plus, comme le dit Jérémy Hamers, « L’objectivité n’existe pas. Un discours médiatique est un récit, une narration, une façon de mettre en scène et de rendre compte d’un point de vue. » La presse génère des discours différents et reflète la diversité d’opinions. Nous vivons dans un monde démocratique permettant aux voix discordantes de coexister. Tenter de formuler une opinion univoque partagée par l’ensemble de la population n’est pas réaliste. La presse peut apporter des pistes de réflexion mais n’est pas une source d’éducation. Chacun doit conserver ce qui lui semble juste pour construire son opinion.

Conclusion

Pour notre part, nous estimons que, si le colloque fut enrichissant, des regrets subsistent. La majorité des intervenants étaient des professeurs universitaires, experts dans leur domaine ; seuls deux journalistes étaient présents et aucun ne travaillait pour la presse traditionnelle alors qu’elle était la première concernée par les réflexions soulevées au cours du colloque. Mais le principal regret concerne l’absence de migrants victimes des stigmatisations et préjugés.

Fiona Sorce, 

Stagiaire à la revue l’Observatoire

Notes

1 CRIPEL : Centre Régional pour l’Intégration des Personnes Etrangères ou d’origine étrangère de Liège - http://blog-interne.cripel.be/

2 Intervenants : Michaël Dantinne (ULiège) - Benoit Dardenne (ULiège) - Jean-François Dumont (AGJPB) Philippe Hambye (UCL) - Jeremy Hamers (ULiège) - Muriel Hanot (CDJ) - Marta Luceno Moreno (ULiège) - Quentin Noirfalisse (Médor) - Marc Sinnaeve (IHECS) - Martine Vandemeulebroucke (Journaliste indépendante) - Modérateur : Jérôme Jamin (ULiège).

3 http://www.diver-city.be/2015/10/les-migrants-renforcent-leconomie-belge.html (archivé)

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ARTICLE EXTRAIT DE :

Femmes et violences de l'exil - Revue L'observatoire n°95

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