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n°68

Morceaux de parcours de vie. De la petite fille à la femme avec infirmité motrice cérébrale et sa famille

 retour au n° 68 "Annonce du handicap de l’enfant ?"
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Auteur(s) :

BIOT Pascale

Psychologue


Article intégral :

Tout d’abord, j’aimerais rendre hommage et dire merci à mes parents, mes frères, ma familles, mes amis.

1970, mes parents attendent leur premier enfant, super ! Mais c’est une petite smurf toute bleue qui arrive… Pas prévu au programme ça ! L’annonce de mon handicap a dû faire l’effet d’un tsunami dans la famille Biot, j’étais l’aînée, mes parents n’avaient pas de mode d’emploi, ils étaient jeunes et pleins d’espoir. J’étais aussi le premier petit-enfant du côté maternel, je les faisais basculer un peu bizarrement dans la génération suivante. Mes parents ont réagi chacun à leur façon : maman de manière dynamique et volontaire, voulant me voir comme sa fille et non comme des problèmes. Papa, plus discret, peut-être avec la difficulté de se placer dans le duo volontaire que formaient la mère et la fille. N’empêche que dans mon vécu et mes souvenirs, il a toujours été là et soutenant, plus présent au fur et à mesure que je grandissais.

Malgré la négligence médicale vécue durant ma naissance, ils n’ont pas trop hésité à me donner un petit frère, 23 mois après ma naissance. Heureusement, car on s’adore et nous vivons une belle histoire. Un second frère arrivera 17 ans après, nous avons la même maman. Nous sommes tous les trois super proches, je me suis beaucoup occupée de mon petit frère, et vu mon âge, j’ai été attentive à la façon dont il vivait ma différence. J’estime qu’il s’agit de ma situation de handicap et je ne souhaite pas que mes proches - je pense là aux enfants qui m’entourent et que j’adore - en souffrent.

J’ai parlé de négligence médicale lors de ma naissance car le gynéco de ma mère n’était pas présent pendant une grosse partie du travail. On a appris par la suite qu’il avait préféré partir à la mer pour le week-end plutôt que de venir en aide à ma maman qui me mettait au monde. On peut dire que j’ai pris mon temps, j’ai mis 37 heures à naître. Il n’y avait pas de médecin habilité à pratiquer une césarienne, ce qui aurait modifié les choses. Quand le médecin est arrivé, j’étais coincée dans le passage et toute bleue. Il n’est pas toujours facile de vivre avec des difficultés qui sont les conséquences d’un homme qui se disait grand et qui est si petit. Il trouvait que « ces jeunes mères ça veut tout de suite accoucher »…Or, j’étais déjà là !

L’histoire de ma naissance, maman sait me la raconter, même si elle est difficile et reste douloureuse, maman trouve que c’est le début d’une merveilleuse aventure. Papa, quant à lui, éprouve beaucoup de difficultés à parler de ma naissance. Cela suscite énormément d’émotions, de larmes… Il trouve que la suite est plus passionnante. Moi, j’écoute, j’ai eu des moments de révoltes, notamment quand j’ai été confrontée à la connerie, aux réactions… Mais je sais aussi que mon parcours est beau et parsemé de rencontres fabuleuses, de défis, ce qui n’est pas pour me déplaire !

Maman a appris mon handicap dès ma naissance, elle s’est « éveillée » deux jours après et a demandé où j’étais, un médecin très psychologue lui a répondu que « quand on a un bébé entre la vie et la mort, il ne fallait pas trop demander », Papa n’a pas su me le dire. Moi, j’ai l’impression d’avoir toujours su que j’étais différente, le handicap a pris naissance dans les regards et remarques de « moldus »1 peu ouverts. Je sais que j’ai eu besoin d’entendre les choses à différents moments de ma vie.

La dynamique que mes parents ont mise en place est celle que j’appellerais du « faire avec », ce qui les a poussés à opter pour l’intégration, même s’ils ne savaient pas que c’était de l’intégration. Maman a fait 17 écoles pour en trouver une qui veuille bien de moi. Après, je suis allée dans une école d’enseignement spécialisé (T8), j’y excellais d’après ce qu’on m’a dit. L’objectif de mes parents était que je fréquente l’école qui suivait, le plus possible, le programme de l’enseignement ordinaire, mais avec un rythme plus lent, la possibilité d’avoir des séances de logo et d’apprendre à taper à la machine à mon rythme… Objectif réussi ! Les secondaires se pointaient, mes parents ont opté pour les secondaires ordinaires, ils me sentaient capables et m’autorisaient à les faire en autant d’années que je le voulais… Oui, mais mon frère était dans l’année en-dessous de moi et il était hors de question pour moi d’être dans la même année… J’ai donc fait mes secondaires en six ans. Après, je pense que maman aurait bien aimé que je rejoigne l’entreprise familiale de cadeaux d’affaires mais… j’avais fait un bénévolat en cinquième secondaire dans un centre pour enfants en situation de handicap moteur. Quand elle est venue me chercher, elle a compris qu’elle ne travaillerait pas avec moi dans le cadeau. C’est en rétho, en faisant un travail en français sur le personnage du petit Ludo dans les Noces Barbares, que j’ai décidé de faire la psycho pour m’occuper de personnes, d’enfants en situation de handicap. On m’a conseillé de faire une école supérieure, je ne le voyais pas de la sorte… L’université me tentait. Mon père trouvait cela normal, mes parents, puis moi ensuite, avions toujours mis la barre haut, je pouvais suivre ce cursus en autant d’années que je voulais mais vu l’aspect financier, je voulais et j’ai fait les cinq ans en cinq ans. Depuis, je m’épanouis dans ma vie professionnelle, j’ai deux mi-temps : je travaille dans un centre pour enfants handicapés moteur et à la Ligue des droits de l’enfant.

En lisant ça, vous devez vous dire qu’il n’y a pas eu de problèmes, de révoltes… C’est vrai ! Certains interpréteront que j’ai accepté. Le terme « acceptation » du handicap m’horripile ! La maturité, l’expérience me font admettre qu’on ne peut pas accepter l’inacceptable. Je pense qu’on peut le gérer, du mieux possible, avec des hauts et des bas. Je suis passée par des moments plus durs mais en tant qu’adulte, peut-être étions-nous, mes parents, mon frère et moi, trop occupés à passer les étapes de la vie qu’on a mis un couvercle sur certaines difficultés ? Est-ce un tort ? Selon moi non, nous avons fait ce qu’on a pu comme on a pu.

J’ai vécu les différentes étapes de ma vie avec le soutien de mes proches. Cela dit, je me rends compte qu’il y a des domaines sur lesquels la volonté n’a pas de prise. Tout ce que j’ai voulu, je l’ai eu grâce à la volonté, l’acharnement, mais quand il s’agit d’aborder le lâcher prise, c’est une autre histoire. Je pense à la vie sentimentale, je suis une femme et j’aimerais vivre ma vie sentimentale, mais là, c’est plus dur. Je dois admettre que l’autre doit également avoir une maturité et être ouvert à la différence, ce n’est pas si simple, je l’admets, mais je me dis que ça doit être possible…

J’arrive, voire je dépasse l’espace qui m’est imparti, l’horreur, j’ai encore tellement à dire ! Beaucoup de thèmes à aborder, j’ai dans l’idée d’écrire un livre, il faut que je m’y mette. Le c… qui a écrit que la vie était un long fleuve tranquille, je le plains. J’ai écrit ces lignes avec joie et sourires, mais ma vie est un torrent sinueux empreint d’amour, d’Amis, de rires, d’idées. La vie est belle, « possible » est un terme clé et, pour moi, l’important est d’assumer mon rôle dans la vie tant au niveau privé que professionnel. J’ai la chance d’être entourée d’amour, d’enfants que j’adore et qui me rendent gaga (filleuls, nièces, neveux), d’avoir des projets pleins la tête.

En regardant par-dessus mon épaule, je regarde et souris, elle est belle ma vie. Même si le handicap l’a colorée différemment, même s’il y a des moments de colère (face à la négligence ou la bêtise d’un médecin), je n’aurais pas aimé vivre autre chose… de là à lui dire merci, c’est autre chose. Le merci est à la Vie, tout simplement !

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